Espace Tilo Frey: Une victoire antiraciste invisibilisée de nouveau en Suisse

Par Laura Flórez

De nouveau, en Suisse, une victoire antiraciste a été invisibilisée. Le 6 juin de cette année, la place et la rue Louis Agassiz à Neuchâtel, où se situe la Faculté de Lettres de l’Université, ont changé de nom. Depuis ce jour, l’espace porte le nom de Tilo Frey. 

Mais, 1. qui est Tilo Frey? 2. Pourquoi a-t-on changé le nom de la rue et de la place? 3. Qui fut Louis Agassiz? 4. Comment arrive-t-on à renommer un espace public en Suisse? Jusqu’à la date du 5 juin 2019 presque personne, au sein de l’Université de Neuchâtel, ne savait qui était Louis Agassiz. Le 7 juin, lendemain du baptême de la place et de la rue, presque personne connaissait Tilo Frey et ne savait pas pourquoi  ce changement de nom s’est produit. L’événement n’a été couvert par aucun média national. Il a été célébré en deux parties : une partie officielle avec des représentants des autorités institutionnelles concernées et une partie non-officielle avec les activistes qui ont mené cette lutte antiraciste, Hans Fassler, André Loembe (Université Populaire Africaine) , Izabel Barros (Cooperaxion), Jovita Pinto dos Santos et Martha Zurita (Coalition POP-VERT-SOL). Les discours officiels n’ont pas rendu compte des efforts et des personnes qui ont rendu cet événement possible. Dans ces discours, le changement de nom semblait être la conclusion formelle d’une discussion, comme si cela avait été une subite prise de conscience, concernant l’idéologie raciste de Louis Agassiz, ainsi que de l’importance historique de Tilo Frey dans la vie politique de Neuchâtel. Eh bien, cela ne s’est pas passé comme ça !

 

Pour répondre aux questions énoncées précédemment:

  1. Tilo Frey a été une femme noire, qui a eu une vie politique longue et prolifique dans le canton de Neuchâtel. Elle fut présidente du Conseil générale, député au Grand Conseil et a siégé au Parlement suisse de 1971 à 1975. Quand j’ai commencé à en connaître un peu plus sur Tilo Frey, je me suis rendue compte de la complexité de sa vie, et de la nécessité pour nous, les activistes, de découvrir dans l’histoire des personnes héroïques, “bonnes et parfaites”. Mais Tilo est loin d’être un personnage schématique d’un roman de martyr et d’ailleurs, son histoire reflète plutôt sa subjectivité, confrontée à plusieurs enjeux, une série de prises de décisions compliquées, stratégiques et courageuses et des tensions sociales constantes.
  1. Le nom de la rue a changé grâce à la convergence des efforts de Hans Fassler, l’Université Populaire Africaine, Cooperaxion, Jovita Pinto dos Santos, Martha Zurita et la coalition POP-VERT-SOL.
  2. Louis Agassiz était un scientifique qui a basé ses recherches sur la supériorité de la race blanche. Des personnes se sont mobilisées et des processus ont été menés dans diverses parties du monde pour faire connaître les liens d’Agassiz avec les institutions nazies et les idéologies suprémacistes. 
  1. Mais finalement, comment arrive-t-on à renommer un espace public en Suisse? Comment réussit-on à faire un tel changement? Avec la conviction claire que nous devons transformer les logiques dans lesquelles l’histoire officielle est construite et aussi, écrire et construire d’autres histoires. Et pour répondre à cette question par des noms propres, ce changement a été réalisé grâce à la coalition des forces, à la convergence de l’astuce politique de Martha Zurita, au courage de reconstruire et d’écrire ces autres histoires de la part de Jovita Pinto Dos Santos, à l’insistance, la ténacité et la détermination de Hans Fässler pour déconstruire l’histoire officielle et à l’activisme inconditionnel de Izabel Barros (cooperaxion.org). Un homme de l’institution finit par jouer un rôle de facilitateur durant la démarche de changement, Thomas Facchinetti. 

Le changement de nom de cet espace public est un fait historique pour la mémoire sociale de Neuchâtel. Cet événement n’est le résultat d’aucune politique d’inclusion, mais est en revanche, le fruit d’une lutte sociale antiraciste. 

 

Programme de l’événement non-officiel convoqué par le “Collectif pour une autre Histoire”: 

Courte interaction théâtrale proposée par Experi Theater Zürich P. Vijayashanthan

Martha Zurita, Psychologue, députée au Grand Conseil (2002 à 2016 ), représentante du POP au conseil général depuis 2017

Thomas Facchinetti, président du Conseil communal de la Ville de Neuchâtel

Hans Fässler, enseignant d’anglais retraité, historien et militant non-retraité à Saint-Gall, membre du PS au Grand Conseil à Saint-Gall 1984-1994, fondateur de la campagne “Démonter Louis Agassiz”

Jovita Pinto, Historienne, assistante de recherche et doctorante en étude de genre avec un accent sur le post-colonialisme à l’Université de Berne. Membre-fondatrice de Bla*Sh – réseau de femmes noires en Suisse alémanique. A rédigé son Mémoire sur Tilo Frey et les élections fédérales de 1971 et Tilo Frey dans la mémoire collective depuis 2014

André Loembé, vice-Président du CRAN, Carrefour de Réflexion et d’Action Contre le Racisme Anti-Noire

Lecture de la liste de souhaits pour le nouvel espace Tilo-Frey à l’attention de l’Université de Neuchâtel

 

 

Pour en savoir plus:

Jovita Pinto dos Santos : https://www.ru.nl/europecontested/speaker-biographies/jovita-dos-santos-pinto/

Université populaire africaine en Suisse: http://www.upaf.ch/ 

Cooperaxion: https://www.cooperaxion.org/ 

Martha Zurita: http://littoral.pop-ne.ch/ 

Hans Fässler:  https://en.wikipedia.org/wiki/Hans_F%C3%A4ssler

Über Laura Florez

I hold a MA in Social Sciences with a Anthropology Concentration from the University of Neuchâtel, Switzerland. I received the FNS scholarship in July 2016 to follow the Specialization in Field Research at the Ethnology Institute of Neuchâtel. During the summer 2017, I joined the OAS Civil Society Staff of the Inter-American Court of Human Rights in Washington D.C. From 2016 to 2017, I developed field work on Paramilitarism and Peace Building Agency in the Caribbean Region of Colombia. During my studies in Switzerland I worked for Solidarité Sans Frontières in Bern (2015) and the Helvetic Association for Colombian Peace (2016). Previously I worked for the Colombian Ministry of Culture as Coordinator Laboratories of Research and Creation in Guanía (2012), and National University of Colombia as senior researcher at the Faculty of Arts where I conducted field research on the Bogotà culture Policy for the Specialization thesis (2011).

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